Les quais grouillaient de monde, marchands et autres se bousculaient dans un brouhaha étourdissant, sans parler de la forte odeur de la marée qui imprégnait l'air... Ruben n'aimait pas la mer. Il pouvait se vanter d'avoir déjà exploré à peu près toute la Contrée Lointaine, et de tous les paysages qu'il avait vus, la mer était celui qu'il aimait le moins. Trop humide.

Mais c'était là que l'avaient amené ses dernières pérégrinations, c'est donc là qu'il était. Fourbu, il était maintenant installé dans un bar complètement miteux, qu'on lui avait vanté comme le plus prestigieux de la ville. Ça donne une idée. Les rats couraient sous les tables ; les verres étaient sales, mais bien remplis, ce qui au final était suffisant. Sirotant une bière plus grise que blonde, le jeune homme observait les clients du bar, attendant pour une prochaine mission qui, il l'espérait, l'emmènerait assez loin d'ici. Deux hommes, aussi alcoolisés que des tonneaux de vin, commençaient à se disputer au comptoir, l'un traitant l'autre de poulet à une patte, l'autre répliquant par un juron fleuri. Le premier tenta de lever un bras et en perdit l'équilibre. Alors qu'il s'effondrait sur le sol, Ruben marmonna :

- "Le meilleur bar de la ville", qu'y disait... Mais qu'est-ce que je fais ici ?...

Oui, vivement qu'une occasion se présente, parce que rester ici, Ruben n'était pas si sûr de pouvoir le faire.

Le Vagabond venait d'arriver dans la région par les terres et trouva cette taverne tardive fort à propos pour un repos bien mérité.

Le lourd bâton de marche toqua sur le pan de bois épais qui faisait office de porte à la masure bruyante lorsqu'il ouvrit lentement la porte dans un mouvement long de fatigue mais serein d'habitude.
L'encadrement lumineux que le vieil homme avait créé se trouva bien vitre comblé par ledit homme qui, après une courte pause silencieuse où tous l'avait regardé sans ne proféré un mot, se décida à entrer au sec et au chaud, parce qu'on avait beau manquer glisser sur du gravier en déambulant dans cette odorante salle bas de plafond, elle avait l'atout énorme de proposer une chaleur humaine et une vitalité que beaucoup enviaient ou recherchaient sur les quais à cette heure.

Le voyageur s'avança d'un pas lourd et précis vers le bar et demanda au tenancier une bonne cruche d'eau fraiche, un verre vide et un rhum, pour requinqué tout ça, avant d'aller se poser sur une table inoccupée, dans un coin d'ombre où il pourrait se mettre à l'aise et passer la soirée sans trop de problèmes.
Il ne le remarqua pas tout de suite, mais il n'était en fait pas seul sur cette table et un jeune homme sirotait apparemment une bière, au vu de la mousse. Solnorr c'était assis de l'autre côté de la table par rapport au jeune homme, pour ne pas le gêner et surtout pour avoir la place de poser son sac et ses autres affaires.
C'est d'ailleurs lorsqu'il voulu poser son grand sac-à-dos entre ses jambes qu'un rat se faufila bien vite contre le mur pour ne pas être écrasé par la lourde masse qui s'approchait dangereusement de sa tête, ce qui fit légèrement sourire le Vagabond lorsqu'il planta son regard sombre dans les yeux de l'animal pour bien lui signifier de ne pas toucher à ce paquetage précieux.

Le barman arriva avec les boissons de Solnorr et le vieux voyageur en profita pour lui demander de réserver une chambrée à son nom pour la nuit toute prochaine, il désirait en effet passer une nuit tranquille et au sec pour une fois. S'il pouvait aussi lui chauffer un grand bain, ou au moins lui fournir l'eau chaude et le bassin lorsque le colporteur lui demanderait, ce serait parfait.
Il fut donc convenu ainsi et Solnorr s'installa dans le coin d'ombre tranquille avec ses boissons devant lui sur la table.

Ruben pourra voir le Vagabond vider la moitié de la cruche d'eau en une seule fois, dans un grand verre rempli au ras, avant de siroter son rhum ambré qui, soit dit en passant, était fort au gout du voyageur.